À l’attention de toutes les personnes concernées
Depuis plus de trente ans, le réseau Alma (Allo maltraitances) fédéré par la Fédération 3977 contre les maltraitances s’engage au quotidien pour protéger les personnes vulnérables. Son action repose sur une éthique professionnelle exigeante et un sens aigu de la responsabilité collective.
Cette initiative de la société civile organisée sous l’impulsion du professeur R. Hugonot1 et poursuivie par le professeur R. Moulias2(1) essaima sur l’ensemble du territoire national et a largement contribué à une prise en compte du phénomène des maltraitances dans les politiques publiques. Depuis la création des centres ALMA, ce sont plus de 130 000 situations qui ont été saisies générant près de 450 000 actions pour accompagner les appelants, victimes ou témoins.
Au cours de ces décennies, nous avons été les témoins des souffrances du grand âge et de la difficulté à exprimer la complexité de ce qui est ressenti et vécu.
Le phénomène de la maltraitance, encore très largement sous-déclaré, se trouve au cœur d’un processus silencieux, à la fois dans les réalités de la maltraitance et dans la manière dont notre société choisit – ou non – d’y répondre.
Les chiffres de l’année 2024, issus de plus de 60 000 appels reçus sur notre plateforme nationale, bouleversent largement des idées reçues :
• les maltraitances en établissement sont en baisse : elles représentent 27 % des signalements, contre 41 % en 2022, avec une réduction de moitié des cas médicaux et des auteurs professionnels présumés (sachant que l’année 2022 est une année de médiatisation des maltraitances en raison de l’affaire Orpéa) ;
• les situations signalées au domicile, en revanche, explosent : 73 % des cas en 2024, une progression de 14 points en deux ans ;
• parmi les auteurs, la famille représente 48 % des situations ;
• les violences psychologiques, diffuses, insidieuses, invisibles, deviennent majoritaires ;
• les victimes sont avant tout des femmes âgées, et de plus en plus des personnes en situation de handicap entre 46 et 60 ans, révélant un phénomène intergénérationnel alarmant.
À la lumière de cette réalité, les adultes vulnérables ont plus que jamais besoin d’un espace neutre, indépendant pour être écoutés, entendus, accompagnés afin que la maltraitance, quand elle est avérée, puisse cesser. C’est ce que garantit le réseau associatif 3977 en respectant l’anonymat et la liberté des déclarants depuis plus de trois décennies.
Aujourd’hui, cet engagement et cette expertise sont menacés par une réforme voulue par l’état et ses modalités de mise en œuvre. Cette réforme élaborée à la suite du traumatisme déclenché par l’affaire Orpéa fragilise l’essentiel. Basé sur le modèle inadapté du CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes) utilisé pour les risques de maltraitances des enfants, ce modèle oublie la notion d’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. En effet, faisant fi de la possibilité de s’adresser à un tiers de la société civile et à une association, ce modèle oublie que des personnes doivent pouvoir choisir comment elles seront écoutées, comment elles seront aidées et par qui, sans être obligatoirement dirigées sans leur consentement vers une administration.
Ce modèle prend la forme d’une nouvelle plateforme nationale et d’un nouveau numéro prétextant du cadre de la loi du 8 avril 2024 pour « bâtir une société du bien vieillir ». L’interprétation administrative de la loi fait peser une lourde incertitude sur la pérennité du numéro 3977 et de ses 51 Centres ALMA animés par des bénévoles professionnels et experts, issus de la société civile. L’ensemble risque de disparaître alors que le réseau Alma fait partie du paysage et de la mémoire collective.
En évinçant l’écoute associative dans le nouveau dispositif, l’État propose un modèle désincarné, purement administratif, fondé sur une gestion numérique des signalements, une orientation centralisée et une logique de tri des « réclamations » plus que d’accompagnement des alertes.
Nous ne nions pas l’intérêt d’une évolution nécessaire à la bonne appréhension du phénomène par le biais d’un système d’information nationale ni la nécessaire coopération entre tous les acteurs qui luttent contre la maltraitance(2) ; mais une écoute des maltraitances sans humanité, sans tiers de confiance, sans bénévoles formés et sans références éthiques solides, c’est renoncer à protéger celles et ceux qui, souvent, ne parlent qu’une seule fois dans leur vie.
La charte d’Ottawa porte le principe fondateur de la démocratie sanitaire : la promotion de la santé exige l’action concertée de tous les intervenants du secteur de la santé, des domaines sociaux ou des domaines économiques. Cela sous-entend que les organismes bénévoles, les autorités régionales et locales, l’industrie et les médias collaborent et sont particulièrement responsables de la médiation entre d’éventuels intérêts divergents en faveur de la santé et du bien-être des citoyens.
Ce principe est universel et doit s’appliquer à tous les pans de l’activité qui accompagne l’humain dans ses fragilités.
Une prise conscience collective paraît nécessaire car le maltraité de demain risque de ne plus être entendu ; car nous, gériatres et gérontologues, professionnels de la santé, associations, citoyens, nous savons :
• ce que signifie vieillir avec dignité ;
• ce que coûte le fait d’être dépendant et d’avoir besoin d’être aidé au quotidien ;
Nous connaissons le prix du silence, de la honte, du huis clos et nous savons :
• combien il est nécessaire d’être écouté « pour oser dire » ;
• combien il est dangereux de confondre gestion administrative et accompagnement de la parole.
Nous vous proposons de vous joindre à cet appel.
Nous devons refuser que la lutte contre les maltraitances bascule dans un pilotage technocratique qui invisibilise l’intime. Nous devons exiger que l’expertise associative, socle d’une écoute libre et engagée, soit pleinement intégrée à toute réforme. Nous devons réclamer des moyens à la hauteur des enjeux, pour que l’État de droit s’incarne dans l’écoute de ses citoyens les plus fragiles(3).
Ce temps de la résistance constructive doit contribuer au modèle de société où vieillir ne serait plus un risque, mais une continuité. Où la parole des plus vulnérables ne serait pas un flux à réguler, mais une vérité à accueillir.
Ce combat n’est pas le nôtre exclusivement. Il est celui de toutes les professions du soin, de l’accompagnement et de l’écoute.
Liens d’intérêts : les auteurs s’expriment au nom de la Fédération 3977 contre les maltraitances à laquelle ils appartiennent.
Pour joindre cet appel, participer à son soutien, signer une pétition en ligne, prendre contact avec Élodie Durand, responsable de la communication, Fédération 3977 contre les maltraitances.
Tél. : 07 52 07 23 89 – Mail : e.durand@3977.org
1. Duportet B, Busby F, Maury C, Sapio S, Lemoine C, Moulias R. Le dispositif national de lutte contre la maltraitance et le 3977. Rev Geriatr 2012 ; 49 : 67-9.
2. Michel N, Corbillé, Pouteau V, Rouleau J. Prévention et lutte contre la maltraitance chez nos aînés. Rev Geriatr 2024 ; 49 : 365-6.
3. Gonthier R. Le nécessaire renforcement des centres Alma pour optimiser la lutte contre les maltraitances. Rev Geriatr 2024 ; 49 : 67-9.