Les 13 et 14 octobre 2023 se sont tenues à Fougères (35) les 54es Journées de formation et de recherche de la Société de Gérontologie de l’Ouest et du Centre (SGOC). Ces journées ont abordé deux thématiques : la transmission du savoir en gérontologie, à travers la question de l’allongement de la vie et ses problématiques en termes de protection sociale, de santé et de politique des âges, et la cardiogératrie, qui reste un motif important de recours aux soins en gériatrie.
Concernant la première thématique, un éclairage a été donné sur les spécificités des filières médicales et paramédicales de la gérontologie, telles que les IPA en gérontologie ou les assistants de soins, qui s’intègrent désormais dans la coordination des soins tant à l’hôpital qu’en ville.
Concernant la seconde thématique, le congrès a permis d’alimenter les réflexions techniques, médicamenteuses et éthiques posées par l’évolution des propositions thérapeutiques, notamment en cardiologie interventionnelle : « Les évolutions en cardiologie interventionnelle nous offrent de nouvelles perspectives de stratégies thérapeutiques pour des patients jusqu’ici souvent rapidement écartés des soins curatifs. Dans ce contexte, en tant que gériatres, nous sommes amenés à nous poser la question des limites éthiques et techniques. » Ont été abordées dans ce cadre les problématiques en lien avec la limitation des soins et l’accompagnement chez ces patients insuffisants cardiaques pour lesquels l’arsenal thérapeutique est épuisé.
Ces 54es Journées ont été également l’occasion de débattre des progrès en e-santé, qui offrent des possibilités inédites de surveillance cardiologique des patients souffrant d’insuffisance cardiaque.
Prévalence de l’hypotension artérielle orthostatique et stratégie thérapeutique chez des patients admis pour chute en gériatrie aiguë au CHU de Rennes
D’après la communication de Mme C.-M. Chatellier, interne DES Gériatrie (CHU de Rennes)
La coronarographie chez le sujet âgé : indications, limites, recommandations
D’après la communication du Dr R. Didier, cardiologue interventionnel au CHU de Brest, PU-PH Université de Bretagne occidentale
Indications des antiépileptiques prescrits en Ehpad et USLD au CHU de Rennes
D’après la communication de H. Fauchon, M. Pierre-Jean, S. Desmarets, B. Hue, D. Somme
TAVI quelles actualités ? Rôle de l’évaluation gériatrique
D’après la communication du Dr T. Manigold, cardiologue au CHU de Nantes, et du Dr A.-S. Boureau, gériatre au CHU de Nantes (Conférence grands orateurs)
Les défis de la longévité
D’après la communication du Pr A.-M. Guillemard, professeur émérite des Universités en sociologie à l’Université Paris Descartes
Connaître la loi et savoir la pratiquer
D’après la communication d’E. Soun, sociologue à l’Université de Bretagne occidentale (UBO), à Brest
Prévalence de l’hypotension artérielle orthostatique et stratégie thérapeutique chez des patients admis pour chute en gériatrie aiguë au CHU de Rennes
D’après la communication de Mme C.-M. Chatellier, interne DES Gériatrie (CHU de Rennes)
Bien que la recherche d’hypotension artérielle orthostatique après une chute fasse partie des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), nous ne connaissons pas précisément sa prévalence lorsque la chute conduit à une admission en gériatrie aiguë. Dans ce contexte, une étude a été réalisée en gériatrie aiguë au CHU de Rennes.
Il s’agit d’une étude rétrospective et monocentrique sur la période du 1er mai 2020 au 31 décembre 2021. Étaient inclus tous les patients de 75 ans et plus, admis pour chute dans le service de gériatrie aiguë. L’étude est basée sur une analyse des dossiers informatisés de chaque patient pour relever les traces de recherche d’hypotension. Lorsque c’était le cas, la recherche était considérée comme adéquate s’il y avait trois recherches négatives ou lorsqu’une recherche était positive. La recherche était considérée comme positive si la pression artérielle systolique (PAS) diminuait de 20 mmHg et/ou si la pression artérielle diastolique (PAD) diminuait de 10 mmHg. De même, ont été notées les étiologies retenues de cette hypotension pour chacun de ces patients. Ont été analysées les caractéristiques de l’hypotension orthostatique : caractère symptomatique, nécessité d’allègement du traitement pharmacologique (notamment antihypertenseurs et psychotropes), indication de mise en route d’un traitement spécifique (pharmacologique ou non) et réévaluation postthérapeutique.
Les données d’une cohorte de 224 patients âgés consécutifs de 75 ans et plus, dont 60 % de femmes, hospitalisés pour bilan de chutes ont été recueillies. Une recherche d’hypotension artérielle orthostatique a été réalisée dans 138 cas (62 %). Dans 117 cas (52 %), l’hypotension a été recherchée un nombre de fois adéquate. Une hypotension orthostatique est retrouvée dans 80 cas, soit chez 36 % des patients admis pour chute. Dans 25 cas, l’hypotension retrouvée était symptomatique soit 31 % des cas où elle était présente. Les étiologies retenues, lorsque la recherche d’hypotension orthostatique était positive, ont été : la iatrogène dans 55 cas (69 %), les pathologies neurodégénératives dans 9 cas (11 %) ; plusieurs étiologies étaient en cause dans 6 cas (8 %), et aucune étiologie n’a été retrouvée dans 10 cas (12 %).
La stratégie thérapeutique a été impactée par la mise en évidence de l’hypotension orthostatique dans 65 cas soit 81 % des cas où elle a été retrouvée. Il s’agissait alors de la mise en place d’une contention veineuse dans 60 cas (soit 92 %), des adaptations du traitement médicamenteux dans 34 cas (52 %) ou la mise en route d’un traitement spécifique par Midodrine dans 10 cas (15 %). Dans 44 cas, plusieurs actions thérapeutiques ont été réalisées (soit 68 %). Dans 17 cas sur les 65 où il y a eu une action thérapeutique (26 %), une réévaluation a été réalisée. Ainsi l’ensemble de la démarche de recherche et d’action thérapeutique n’a été positive que dans 8 cas, soit 12 % des patients traités.
Pour conclure, la prévalence de l’hypotension artérielle orthostatique est élevée (36 %) lorsque cette dernière est recherchée dans un contexte de chute avec admission en gériatrie. Lorsqu’elle est retrouvée, le plus souvent (81 %), il s’ensuit des actions thérapeutiques. La durée de séjour limitée ne permet pas d’apprécier le suivi de ces mesures, d’autres études seraient nécessaires pour en connaître l’impact à terme, après la sortie des patients.
Claire-Marie Chatellier, Dominique Somme
La coronarographie chez le sujet âgé : indications, limites, recommandations
D’après la communication du Dr R. Didier, cardiologue interventionnel au CHU de Brest, PU-PH Université de Bretagne occidentale
Par le passé, hospitaliser un patient âgé en soins intensifs était le fruit d’une longue négociation. Aujourd’hui, les services de soins intensifs sont occupés majoritairement par des patients âgés. En effet un patient sur trois ayant un syndrome coronaire aigu est âgé de 75 ans ou plus. Le traitement non chirurgical de valve aortique serrée par voie intravasculaire a provoqué une sorte de basculement : pourquoi ne pas revasculariser les coronaires de nos patients âgés à qui sont proposés des gestes invasifs ? La maladie athéromateuse représente la deuxième cause de mortalité en France après le cancer et la première cause de mortalité chez la femme. Les avancées technologiques ont permis de diminuer cette mortalité. En effet, les patients âgés sont caractérisés par leur complexité : dans la présentation clinique parfois atypique, la difficulté d’interprétation des électro-cardiogrammes (ECG), la technique interventionnelle, la prise en charge, la durée d’hospitalisation.
Sur le plan physiopathologique, les plaques d’athérome se développent dans les zones de turbulence, dans les courbes internes de l’aorte et au niveau des ostiums. Les plaques d’athérome avec leur chape fibreuse fine peuvent se rompre (dans 70 % des cas), s’éroder (dans 25 à 40 % des cas) par érosion de l’endothélium, ou encore former des nodules calcifiés (plaques rompues cicatrisées qui sont plus à risque de rupture). Lors des ruptures de plaque, on note que la chape fibreuse se rompt et disperse son corps lipidique. Ce dernier active les plaquettes et il se forme un thrombus dans la coronaire. Cela entraîne un infarctus du myocarde, pouvant aller jusqu’au décès du patient. Parfois, les plaques peuvent cicatriser, diminuer le calibre de la lumière et entraîner un angor et une plainte fonctionnelle.
Sur le plan thérapeutique, chez les patients âgés, en cas de syndrome coronaire aigu avec surélévation du segment ST (SCA ST+), la revascularisation permet un net bénéfice en termes de mortalité. Dans ce contexte, il ne faut pas hésiter à ne pas revasculariser les patients au seul prétexte de leur âge. En revanche en cas de SCA ST–, ou de coronaropathie de découverte fortuite (ECG fait pour une autre raison, symptomatologie floue…), la revascularisation présente un bénéfice discordant sur la mortalité. En cas d’angor stable, à cause d’une plaque athéromateuse stable, très calcifiée, le bénéfice n’est pas observé sur la mortalité, mais uniquement sur l’aspect fonctionnel. Ainsi, il paraît préférable de savoir expliquer au patient les bénéfices et les risques de la procédure et lui demander ensuite son opinion, ce qui est idéalement réalisé par un gériatre, éventuellement par des infirmiers formés à la gériatrie, qui réaliseront une évaluation entrant dans le cadre de l’approche gérontologique globale.
Sur le plan des stratégies peropératoires, la voie radiale permet de diminuer le risque hémorragique et donc la perte d’indépendance postopératoire. II est primordial d’éviter autant que possible la prémédication, ce qui peut conduire à l’emploi de l’hypnose et de casque de réalité virtuelle. Le retour à domicile devra être rapide afin de limiter le risque de confusion hospitalière. Concernant les antiplaquettaires, l’utilisation du Clopidogrel est à privilégier lorsqu’il y a eu une procédure intravasculaire dans l’angor stable, devant un risque hémorragique plus faible. Nous choisirons plutôt le Clopidogrel ou le Ticagrelor en cas d’implantation de nombreux stents ou en cas de présence de thrombus dans le contexte d’un SCA. Il paraît préférable d’éviter l’utilisation du Prasugrel en population gériatrique.
Pour conclure, en population gériatrique, il est souhaitable de proposer une stratégie multidisciplinaire, sans retarder la revascularisation. En effet, est-ce que la réduction de la mortalité chez les patients âgés est notre seul objectif ? Notre priorité n’est-elle pas plutôt dans l’amélioration de la qualité de vie ? La mortalité n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres dans la prise de décision.
Claire-Marie Chatellier, Dominique Somme
Indications des antiépileptiques prescrits en Ehpad et USLD au CHU de Rennes
D’après la communication de H. Fauchon, M. Pierre-Jean, S. Desmarets, B. Hue, D. Somme
Cette communication a obtenu le prix de la Communication jeune orateur.
Les antiépileptiques sont une classe médicamenteuse très utilisée en gériatrie. Les prescriptions hors AMM sont fréquentes et préoccupantes devant l’absence de niveau de preuve de ces molécules dans la douleur ou les symptômes psychocomportementaux liés à la démence. L’objectif de ce travail était d’évaluer l’adéquation des prescriptions d’antiépileptiques en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et unité de soins de longue de durée (USLD) au CHU de Rennes par rapport aux recommandations françaises.
Les patients étaient inclus dans cette étude rétrospective s’ils avaient au moins 85 ans et se voyaient prescrire un antiépileptique plus d’un an après l’admission dans le lieu de vie. Leurs dossiers médicaux (entrepôt eHOP) étaient analysés afin d’identifier la molécule prescrite et l’indication rapportée. Les associations molécule-indication étaient ensuite comparées avec les recommandations françaises de la Haute Autorité de santé (HAS) et/ou de sociétés savantes afin d’en établir l’adéquation.
Aucune indication n’a été retrouvée dans le dossier médical pour 4 patients (13 %). Les 26 patients dont les données ont pu être analysées étaient majoritairement de sexe féminin (77 %) et vivaient pour plus de la moitié d’entre eux à l’Ehpad du CHU. Ils présentaient plusieurs comorbidités (score médian de Charlson à 7). La molécule la plus prescrite était la prégabaline (10 prescriptions) suivie du lévétiracétam (6). Les indications majoritaires étaient l’épilepsie (14) et la douleur neuropathique (10). Quinze prescriptions (58 %) étaient en adéquation avec les recommandations françaises. Cela décrivait toutes les prescriptions sauf une dans le cadre de l’épilepsie et une seule prescription dans le cadre de la douleur neuropathique.
En conclusion, cette étude met en évidence un potentiel mésusage des antiépileptiques en gériatrie (prescription non documentée ou non adéquate par rapport aux recommandations).
Héloïse Fauchon, Dominique Somme
TAVI quelles actualités ? Rôle de l’évaluation gériatrique
D’après la communication du Dr T. Manigold, cardiologue au CHU de Nantes, et du Dr A.-S. Boureau, gériatre au CHU de Nantes (Conférence grands orateurs)
Les recommandations européennes sur le traitement des valvulopathies et la place de l’implantation de valve aortique par voie percutanée (Transcatheter Aortic Valve Implantation – TAVI) ont été révisées en 2021(1) à la suite de la publication de plusieurs essais randomisés(2,3). Elles préconisent un TAVI chez les patients de plus de 75 ans symptomatiques ayant un bénéfice attendu de la procédure et soulignent le rôle majeur d’une Heart Team pour la prise de décision. En pratique, les patients à bas risque dont l’espérance de vie est estimée élevée sont adressés en staff TAVI, après la réalisation d’une coronarographie et d’un TAVI-scanner, où sont discutées la présence ou non d’une anatomie valvulaire favorable, notamment eu égard à la présence de calcifications et le risque et la probabilité de succès de la procédure.
Au CHU de Nantes, l’outil de triage de dépistage des risques (Triage Risk Screening Tool – TRST) (Annexe 1) a été mis en place afin d’établir le recours à l’EMG en préopératoire afin d’évaluer le bénéfice fonctionnel potentiel et la nécessité d’une prise en charge spécifique post-TAVI. Afin de limiter l’iatrogène liée à l’hospitalisation, un lever précoce (6-24 h) et une sortie dès J2 sont favorisés, avec une orientation en service de soins médicaux et de réadaptation (SMR) si besoin. À noter parmi les problématiques actuelles, le redo-TAVI (deuxième procédure TAVI effectuée à une date différente de la procédure index TAVI initiale) au vu de l’allongement de l’espérance de vie des patients(4).
La place du gériatre dans le traitement par TAVI a évolué depuis 2011 lorsque la Haute Autorité de santé (HAS) préconisait une évaluation gériatrique pour tous les patients (TAVI réservé aux patients à haut risque). Désormais, l’évaluation par l’EMG vise à aider la décision thérapeutique : pour les patients vigoureux, TAVI ou chirurgie cardiaque ? pour les patients fragiles, quelle stratégie thérapeutique globale autour de l’intervention ? pour les patients dépendants, TAVI ou traitement médical seul ? Plusieurs paramètres gériatriques ont été identifiés comme pronostiques d’un résultat péjoratif de la procédure : fragilité quelle que soit l’échelle d’évaluation employée(5) vitesse de marche, autonomie mesurée par les ADL(6). Les complications de la procédure ne sont pas toutes bien identifiées(7) : aucune donnée ne concerne le risque de chute, mais il est bien documenté que la confusion postopératoire immédiate concerne 20 % des patients et conduit à une perte d’autonomie sans récupération à distance(8).
Les recommandations des sociétés savantes diffèrent concernant les patients devant bénéficier d’une évaluation gériatrique : ainsi, l’ACC en 2020(9) préconise un dépistage de la fragilité par les ADL et la vitesse de marche tandis qu’aucune mention de dépistage n’est faite dans les recommandations 2021 de l’ESC. Une étude française publiée en 2022 mettait en évidence que 40 % des patients pour lesquels un avis de l’EMG était donné en pré-TAVI étaient définis comme vigoureux et donc sans bénéfice de cette évaluation, et que seuls 1/3 des propositions de l’EMG étaient suivies mettant ainsi en évidence la problématique de l’adhérence des patients au plan de soins(10). L’essai randomisé multicentrique PERFORM-TAVR est en cours afin d’évaluer l’apport d’une intervention multifacette (nutrition, activité physique) sur l’évolution de la fragilité en post-procédure(11).
Héloïse Fauchon, Dominique Somme
Les défis de la longévité
D’après la communication du Pr A.-M. Guillemard, professeur émérite des Universités en sociologie à l’Université Paris Descartes
Anne-Marie Guillemard est sociologue, professeur émérite à l’Université Paris Descartes et membre du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge. Depuis une dizaine d’années, elle analyse les défis provoqués par l’allongement de la vie. En France, ces défis sont largement méconnus. En effet, le concept de longévité est confondu et réduit au phénomène de vieillissement de la population, ce qui ne met en lumière que les coûts engendrés par le problème de la dépendance. Depuis le grand public jusqu’à nos politiques publiques, cette tendance occulte les avantages de la longévité qu’il conviendrait pourtant de reconnaître pour optimiser les ressources simultanément à la prévention des risques qu’elle engendre. Au même titre que la transition écologique, qui bénéficie d’un ministère attitré, la transition démographique devrait faire l’objet d’une reconstruction des politiques publiques qui en finirait avec la vision purement déficitaire du vieillissement. Pour cela, il faut d’abord prendre conscience de la disparition du modèle d’existence standardisée en trois temps : éducation-travail-retraite. Aujourd’hui, les temps de formation, d’emploi, de vies familiale et professionnelle se superposent et se combinent de manière unique pour chaque individu. La segmentation de nos politiques par l’âge, supposant des besoins homogènes dans chacune de ces tranches, est devenue caduque. Le premier défi pour nos politiques publiques est de s’adapter à ce nouveau régime temporel d’existence en abandonnant les barrières d’âge au profit d’une gestion des parcours de vie qui les sécuriserait en accompagnant les transitions qu’ils comportent. Le deuxième défi est connu et affiché depuis le début des années 2000 en Europe : il s’agit de déplacer notre axe principal d’action depuis la réparation et l’indemnisation de la survenue de risques (ce qui est l’objectif, par exemple, de l’allocation personnalisée d’autonomie) vers une stratégie d’investissement social pour la prévention en santé, le soutien de l’autonomie, la sécurisation des parcours de vie longs. Bien que nos progrès en matière de prévention soient indéniables, nous pouvons notamment nous étonner que persistent des bornes d’âge entraînant un désinvestissement significatif dans le suivi des personnes après l’âge de 70-75 ans. Enfin, un troisième défi concerne le principe de solidarité intergénérationnelle. Il interpelle doublement les soignants en gériatrie, en leur qualité de professionnels et en leur qualité personnelle de citoyens. À l’époque du développement du concept d’État-Providence, trois générations coexistaient. Aujourd’hui, quatre générations ont besoin les unes des autres. Il est donc impératif pour la cohésion sociale ainsi que pour le maintien et le fonctionnement de la démocratie que la solidarité entre les générations soit rééquilibrée. Les mesures vécues comme punitives, concernant le régime des retraites par exemple, devraient pouvoir être compensées afin que chacun soit amené à modifier sa vision du fardeau du vieillissement.
Claire Meis
Connaître la loi et savoir la pratiquer
D’après la communication d’E. Soun, sociologue à l’Université de Bretagne occidentale (UBO), à Brest
Depuis une trentaine d’années, Emmanuelle Soun, sociologue, est également formatrice à l’Institut de formation au travail éducatif et social de Brest. Dans ce cadre, elle a rencontré plusieurs centaines de professionnels en formation continue, en majorité des aides-soignants exerçant en Ehpad. Cela lui a permis de constater leur méconnaissance de la loi du 2 janvier 20021 encadrant l’accompagnement des personnes dans les établissements médicosociaux. Cette loi s’accompagne notamment d’une charte des droits et libertés de la personne accueillie2 qui est parfois connue par les soignants (car affichée à l’entrée de l’établissement où ils exercent), mais dont la connaissance reste le plus souvent superficielle. Cela s’explique d’abord par l’absence de présentation des textes durant la formation initiale des aides-soignants. De plus, nombre de professionnels rapportent que la charte et le projet d’établissement ne leur ont pas été fournis à l’embauche. Comment, dans ces conditions, s’engager réellement à respecter les principes établis par ces textes ? E. Soun constate également que l’absence de maîtrise des textes de loi participe grandement à la souffrance exprimée par certains professionnels qui ont l’impression de travailler à la chaîne sans savoir ce qui mène leurs actions. C’est pourquoi elle propose à ces soignants une lecture approfondie de la charte leur permettant de s’approprier la loi en la confrontant à leurs pratiques quotidiennes. Cette lecture est l’occasion de riches débats qui démontrent l’envie des professionnels de soigner avec justesse. Par exemple, tous approuvent le principe de non-discrimination établi à l’article 1 et débusquent des situations à risque plus pernicieuses que celles citées par la charte comme lorsqu’un élément difficile de l’histoire de vie d’une personne est diffusé (antécédent d’alcoolisme ou de violence, etc.). Les participants à cette formation continue témoignent auprès d’E. Soun d’un bénéfice évident à se familiariser avec les textes cités. Par exemple, certains changent leur vision sur leur travail qui passe de la « prise en charge » à l’« accompagnement ». Pour E. Soun, faire connaître aux soignants les textes qui régissent leurs activités permet de leur donner les moyens de penser dans l’intérêt des résidents. Cela permet aussi de les rendre plus autonomes en leur permettant d’élaborer un cadre à partir duquel analyser leurs pratiques pour éventuellement les réadapter. Cette formation génère un mieux-être au travail de tout temps souhaitable et particulièrement en période de grandes difficultés à recruter. Elle est aussi l’un des piliers de la création d’Ehpad plus respectueux de tous.
Claire Meis
Annexe 1 : Outil de triage de dépistage des risques.
Appendix 1: Triage Risk Screening Tool (TRST).
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Article reçu le 13/02/2024 et accepté le 28/02/2024
Auteur correspondant : Pr Dominique Somme, PU-PH, chef du pôle de gériatrie, CHU de Rennes ; professeur de gériatrie, Université de Rennes 1, Faculté de médecine, CHU de Rennes ; Centre de recherche sur l’action politique en Europe, UMR 6051, Rennes, France.
Courriel : dominique.somme@chu-rennes.fr