La Revue de Gériatrie a organisé une émission spéciale retransmise en direct sur le web le 8 septembre dernier. Cette émission est disponible en replay à l’adresse : https://www.revuedegeriatrie.fr/geriatrie-tv/, mais il a semblé important d’en retranscrire les principaux temps forts et messages.
Elle réunissait Patrick Friocourt (Blois), les Prs François Puisieux (Lille) et Olivier Hanon (Paris), et Vincent Henouf (virologue à l’Institut Pasteur à Paris) avec la caution scientifique de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) représentée par son président, le Pr Olivier Guerin, qui animait le débat.
L’objectif était de faire un point rapide et de présenter un retour d’expériences sur la COVID chez les Personnes âgées (PA).
Les données sont éminemment évolutives car nous sommes en période d’épidémie, cependant il est possible de se référer aux mises à jour régulières sur le site de Santé publique France. L’incidence de la maladie est extrêmement variable dans le temps, selon les continents et les pays, les régions et les départements, et selon l’âge, mais les courbes d’incidence hebdomadaire des tranches d’âge 70- 79 ans et 80-89 ans sont pratiquement superposables. Si on a beaucoup parlé des ravages qu’a fait la COVID-19 dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), il faut surtout ne pas assimiler personnes âgées et EHPAD, et rappeler que la très grande majorité des PA vivent à domicile, et qu’à 80 ans, seules 5 % des femmes et 4 % des hommes sont en institution. Néanmoins, parmi les personnes très âgées, donc les plus fragiles, 42 % des femmes et 27 % des hommes de plus de 90 ans vivent en institution. En France, près de 112 000 décès liés à la COVID ont été recensés entre le 1er mars 2020 et le 1er août 2021, et plus de 30 000 sont survenus chez des personnes de plus de 70 ans. Une méta-analyse de 79 études publiées entre décembre 2019 et septembre 2020 portant sur des PA en institution retrouvait 23 % de mortalité, 37 % d’hospitalisations et 31 % de cas asymptomatiques. Une étude a comparé le nombre d’années de vie perdues, indûment (prématurément) en raison de la COVID, dans différents pays d’Europe, et a mis en évidence un nombre plus élevé d’années de vie perdues « hors-COVID » dans certains pays (Portugal, Espagne, Pays-Bas) par rapport à l’année précédant l’épidémie(1). Ceci peut traduire les difficultés des systèmes de soins à absorber le surplus de soins dus à la COVID et un retard ou un défaut de la prise en charge des soins non-COVID. Ceci n’a pas été observé en France.
Fin août 2021, la couverture vaccinale contre la COVID en France était estimée proche de 80 % après 80 ans, mais elle était de 92 % dans la tranche d’âge 75-79 ans et 93 % dans la tranche d’âge 70-74 ans. La couverture vaccinale médiane en EHPAD était de 82 % pour les résidents et 85 % pour les professionnels. Alors que près de 90 % des résidents d’EHPAD étaient vaccinés fin août (88,5 % avec 1 dose et 91 % vaccination complète), 16 % des personnes de plus de 80 ans n’avaient toujours pas reçu une seule dose ! Pour l’anecdote, un site donnait les chiffres de vaccination au 5 septembre 2021 des différentes intercommunalités en France (https://www.francetvinfo. fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/ou-en-est-lavaccination- pres-de-chez-vous-consultez-les-chiffres-devotre- intercommunalite_4721685.html).
Au total, en France fin août 2021 le pourcentage de la population ayant reçu 1 dose de vaccin était de 71 %, mais il n’était que de 84 % chez les plus de 80 ans.
Questions/débat
Dans le monde, la seule différence de décrochage de morbidité sévère ou de mortalité concerne les pays qui ont pu vacciner massivement.
Le taux de non-vaccination inférieur des sujets âgés en France par rapport aux autres pays européens correspond probablement à des personnes qui refusent la vaccination, mais aussi à une partie de la population qui est trop loin du soin et qui est dans la précarité au sens large, et qui n’a pas eu accès à la vaccination.
La prévalence du « COVID long », estimée à 15 %, voire à 20 % pour la COVID delta dans les populations plus jeunes, est très difficile à évaluer dans les populations gériatriques.
S’agit-il de réinfections de personnes vaccinées par de nouveaux virus ou par le même virus (ce qui est difficile à déterminer : nouvelle infection au même virus ou persistance du virus) ? Ces formes peuvent s’observer chez des personnes vaccinées ou déjà infectées. Il s’agit souvent de personnes âgées, mais ce ne sont pas toujours des formes graves. Les « COVID longs » sont des formes sévères, qui peuvent s’observer à tout âge et qui se révèlent de plus en plus au niveau des hôpitaux.
François Puisieux a ensuite abordé le problème de la COVID dans les EHPAD, illustré par des exemples dans lesquels près d’un résident sur 4 était décédé de la COVID. On s’est aussi aperçu que dans un EHPAD beaucoup de résidents même très âgés et très polypathologiques pouvaient être atteints par le virus et faire des formes paucisymptomatiques, voire asymptomatiques, et donc qu’on ne mourait pas obligatoirement de la COVID quand on était atteint et résident d’un EHPAD. Néanmoins, les EHPAD regroupent 1/100 de la population française et 1/3 des décès liés à la COVID ! En 2020, près de trois EHPAD sur quatre ont eu au moins 1 résident infecté par la COVID-19, avec des taux d’attaque et des taux de mortalité variables. Lors de la première vague, 3 régions ont été fortement touchées : les Hauts-de-France, la région Grand Est et l’Île-de-France. Lors de la seconde vague, la répartition des épisodes a été plus homogène sur l’ensemble de la France, la Bretagne étant la région la plus épargnée. Une étude réalisée dans la région Nouvelle-Aquitaine a permis de préciser les caractéristiques des EHPAD ayant eu des
EHPAD, on retrouvait une proportion de professionnels âgés de moins de 40 ans plus élevée, un ratio Equivalent temps plein (ETP) du personnel paramédical/nombre de lits plus faible, du personnel moins bien formé en hygiène, une offre de chambres individuelles plus faible, un signalement des cas de COVID-19 plus tardif, et des délais de mise en place des mesures de contrôle plus longs(2).
À l’occasion de cette crise, on a pu constater la pauvreté des EHPAD. Des mesures de soutien venant du ministère, des Agences régionales de santé (ARS), des sociétés savantes, des volontaires – à qui il faut rendre hommage (médecins, infirmières, etc.) – et des filières gériatriques ont aidé ces EHPAD. À titre d’exemple, la filière gériatrique du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille a mis en place plusieurs mesures : Unités COVID PA pouvant accueillir les résidents des EHPAD en médecine et en Soins de suite et réadaptation (SSR) ; numéro d’appui gériatrique aux EHPAD, qui a reçu des milliers d’appels ; équipe ambulatoire de prélèvement en EHPAD, qui a réalisé près de 4 000 prélèvements durant la première vague ; téléconsultations ; 12 médecins et 10 internes, qui ont participé à l’activité COVID (COMED, COBAT, Unité COVID-EHPAD, Gérialille, Équipe de prélèvements) ; 30 ETP non médical dont 1/3 COMED et 2/3 sur COVID dédié Gérontologie…
La vaccination a tout changé et la figure 1, tirée d’un travail mené en Nouvelle-Aquitaine, illustre la chute des taux d’incidence de la COVID chez les résidents en EHPAD avec l’arrivée de la vaccination alors que dans la même période l’incidence augmentait dans la population plus jeune moins vaccinée (Figure 2).
Malgré tout, bien que la très grande majorité des résidents soit vaccinée, on peut observer des cas de COVID chez des personnes vaccinées, et même de petits clusters, mais souvent les cas sont moins sévères. Si la réponse humorale et cellulaire est plus faible chez les personnes âgées, quand les PA ont eu la COVID leur réponse immunitaire est de même niveau que celle des sujets jeunes. D’où la nécessité de vacciner massivement les personnes âgées et le personnel qui s’en occupe et l’intérêt d’une dose de rappel. Ceci ne doit pas faire oublier le débat éthique : on a dû faire des choses qu’on n’aurait jamais imaginé faire : enfermer des résidents d’EHPAD dans leur chambre, interdire des visites à l’hôpital…
Débat
Un certain nombre de PA ne voient pas l’utilité de se faire vacciner sous le prétexte qu’elles voient peu de monde et sortent peu. En fait, quoi qu’il arrive, tout le monde rencontrera le virus COVID-19 un jour ou l’autre et il n’est pas possible d’imaginer passer « à travers les gouttes » dans les 5 à 10 années qui viennent. Le principe d’avoir une immunité déjà préparée par la vaccination ou éventuellement par une maladie antérieure donne une diminution majeure de l’impact de cette première rencontre. Le but est donc de ne pas être naïf vis-à-vis du virus lorsqu’on le rencontrera pour la première fois, car il a tendance à devenir plus contagieux et un peu plus grave.
3ème dose : pour qui, pour quoi ? Différents pays pratiquent déjà la 3ème dose (Israël, Allemagne, USA, Angleterre, Turquie…) pour les personnes de plus de 65 ans, les immunodéprimés, les personnes souffrant de comorbidités, les personnes en soins et en EHPAD. Ces personnes sont aussi concernées par la vaccination antigrippale et on pourra leur proposer la vaccination concomitante vaccin antigrippal-vaccin COVID 19.
Le premier traitement qui a démontré son efficacité est la dexaméthasone, avec une réduction de 17 % de la mortalité avec un protocole de 6 mg/j pendant 10 jours, en IV, éventuellement per os, mais uniquement pour les patients sous oxygène. Ceci a été confirmé par une méta-analyse(4) qui a montré une réduction de 30 % de la mortalité, mais uniquement pour les formes graves (patients sous oxygène). Le tocilizumab (molécule anti-interleukine 6 qui s’oppose à l’orage cytokinique) a également montré dans l’étude Recovery une réduction de 14 % de la mortalité chez des patients atteints de formes sévères, oxygénodépendants avec une C-réactive protéine (CRP) > 75 mg/l. On peut donc envisager la prescription de tocilizumab chez les patients COVID+ uniquement lorsqu’aucune amélioration clinique n’est observée dans les 48-72 heures suivant l’instauration d’une corticothérapie (et par définition sous oxygénothérapie) en cas de persistance de l’état hyper-inflammatoire (CRP > 75 mg/l). Les sujets âgés peuvent être éligibles à ce traitement au même titre que les autres patients, bien que les données disponibles chez les sujets âgés soient limitées. La posologie est de 8 mg/kg en perfusion intraveineuse d’une durée de 1 heure.
Les anticorps monoclonaux antiprotéine Spike peuvent être utilisés, à l’inverse, dans les formes non sévères, en bithérapie dans le cadre d’une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) : Etesivimab + bamlanivimab ou casirivimab + imdevimab. Le traitement doit être initié dans un délai maximum de 5 jours après le début des symptômes. Ils peuvent entraîner une réduction plus de 80 % de la survenue de forme graves et de la mortalité et il faut y penser pour les patients âgés en cas de clusters. D’autres produits ne se sont pas montrés efficaces : remdesivir, lopinavir-ritonavir, hydroxychloroquine, azithromycine, ivermectine, interféron, plasma de convalescent, colchicine, vitamine D.
Les anticoagulants ont un effet sur la survenue de thromboses très sévères, avec une réduction de près de 50 % de la mortalité, avec une efficacité comparable des doses curatives ou préventives. Les doses préventives sont à préférer car entraînant moins de complications hémorragiques, les doses curatives étant à proposer aux patients particulièrement à risque (non pas selon le taux de d-dimères mais chez les patients ayant un index de masse corporelle élevé ou ayant déjà fait une embolie pulmonaire).
La vaccination est très efficace, et quel que soit le type de vaccin on observe moins de formes sévères chez les sujets vaccinés. Dans l’étude EPI-PHARE de la ANSM-CNAM portant sur 1 422 461 sujets vaccinés (Pfizer-BioNTech dans 92 % des cas) et 2 631 108 témoins, la réduction du risque d’hospitalisation est de 59 % après la première dose de vaccin et 86 % après la 2ème dose. L’efficacité est un peu moins bonne chez les plus âgés, respectivement 53 et 81 % après 85 ans, versus 65 et 92 % chez les moins de 85 ans.
Si on considère le variant delta, les chiffres sont moins bons après la 1ère dose et pour être bien protégé contre le variant delta il faut obligatoirement un schéma à 2 doses.
Débat
Dans la stratégie vaccinale, parler de 3ème dose est un abus de langage : en réalité ce n’est pas une 3ème dose, mais c’est un rappel.
La question du rappel pour le personnel des EHPAD a été évoquée. Ce n’est pas la même population que celle des résidents et cette population n’a pas la même immunosénescence. Il est cependant possible que l’on soit amené à proposer ce rappel aux professionnels de santé, comme cela se fait déjà dans plusieurs pays. Les Israéliens ont montré que le rappel (dans une population qui a été vaccinée assez tôt et massivement) permettait de diminuer par 4 le risque de transmission et par 6 le risque de formes graves et de décès. Il faut garder à l’esprit que les vaccinés peuvent quand même transmettre le virus.
Pour protéger nos aînés, le conseil est donc de les vacciner et de se tester avant de rendre visite à des sujets fragiles en EHPAD si on a des signes pouvant évoquer la COVID.
La question de l’influence de la connaissance de la sérologie, quand elle a été faite, sur la décision de vacciner ou non a été évoquée par Vincent Enouf.
La sérologie a un grand intérêt pour les études cliniques et les études de cohorte pour connaître la persistance des anticorps, la quantité nécessaire pour être protégé et la durée de cette protection. L’intérêt de la sérologie à petite échelle et à l’échelle individuelle est plus faible. On sait que les anticorps antiCOVID et notamment les anticorps antiS peuvent persister dans le temps et sont protecteurs contre les formes graves, et que les vaccins actuels protègent contre les formes graves et contre les variants récents.
Patrick FRIOCOURT
Auteur correspondant : Docteur Patrick Friocourt, Directeur de la Rédaction de La Revue de Gériatrie.
Courriel : patrick.friocourt@wanadoo.fr
- Vieira A, Peixoto Ricoca V, Aguiar P, Sousa P, Nunes C, Abrantes A. Years of life lost by COVID-19 in Portugal and comparison with other European countries in 2020. BMC Public Health 2021 ; 21 : 1054.
- Bernadou A, Noury U, Evain S, Herteau A, Binet C, Chatenet J, et al. Description des caractéristiques d’une sélection d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des mesures de contrôle mises en place lors de la survenue de clusters de COVID-19 en région Nouvelle-Aquitaine en 2020. BEH COVID-19, N° 9-8, juin 2021.
- Gault G, Bernadou A, Montaufray MA, Filleul L. Impact de la vaccination sur la dynamique de l’épidémie de la COVID-19 chez les personnes âgées de 75 ans et plus en Nouvelle-Aquitaine, janvier-mars 2021. BEH COVID-19 n° 11, 8 juillet 2021.
- The WHO Rapid Evidence Appraisal for COVID-19 Therapies (REACT) Working Group. Association Between Administration of Systemic Corticosteroids and Mortality Among Critically Ill Patients With COVID-19A. Meta-analysis. JAMA 2020 ; 324 : 1330-41.