La gériatrie est en mouvement. De grandes étapes de développement ont ponctué ses instances(1). Il faut savoir regarder en arrière pour aller de l’avant(2). Du côté de la psychogériatrie et de la psychiatrie de la personne âgée, lors de la clôture de son Congrès annuel le 5 juin 2025 au campus des Cordeliers, Alexis Lepetit, le nouveau président de la Société française de la psychogériatrie et de la psychiatrie de la personne âgée (SF3PA) a présenté le 7e Congrès de 2026 qui se tiendra au campus Saint-Paul à Lyon sur le thème de nos métiers « en mouvement(3) ».
Il a été dit que les progrès d’une science étaient à la hauteur de la précision de ses instruments de mesure. Qu’est-ce que la gériatrie, la psychogériatrie et la psychiatrie de la personne âgée attendent pour changer d’instrument de mesure ? Le temps est compté.
De Galilée à Semmelweis, l’histoire des sciences a montré à de multiples reprises la puissance des habitudes et la force des résistances au changement.
L’inventaire neuropsychiatrique (Neuropsychiatric Inventory – NPI) dans sa version pour équipes soignantes (NPI-ES) est un questionnaire constitué de 42 questions et de 68 sous-questions. Les psychologues ont souligné que les questions faisaient partie de ce qu’ils ont appelé « les attitudes relationnelles bloquantes(4) ». La formulation de ces questions utilise un vocabulaire de médecin alors que les personnes questionnées sont pour la plupart des aides-soignantes. Enfin, le nombre de questions est très élevé et explique en partie l’importance de la durée de la cotation. Elle est de quize minutes quand il y a peu de symptômes(5). Plus il y a de symptômes, plus il faut recourir aux sous questions, et la durée s’allonge à trente minutes(6). Ces trois points de la conception du NPI-ES apparaissent immédiatement comme les premières causes de l’imprécision de l’outil.
À l’opposé, l’échelle d’évaluation, chez les personnes âgées, des symptômes et des syndromes déconcertants (EPADE) a renoncé à l’usage des questions pour les remplacer par l’énoncé de mots simples qui permet une passation rapide, avec une durée de cotation qui descend en dessous d’une minute (Annexe 1). D’autant plus rapide, jusqu’à quarante secondes, que les symptômes sont nombreux et sévères(7). Cette vitesse est l’aboutissement de neuf années de travail d’un groupe de professionnels associant principalement des aides-soignants et des infirmiers. Conçue initialement dans notre dispositif d’appui de psychogériatrie à l’hôpital Sainte-Anne(8), pensée par le terrain, pour le terrain, avec les mots des soignants, l’instrument doit aussi une partie de sa vitesse à l’introduction novatrice d’une méthode de cotation utilisée dans le monde de l’économie. Elle est connue dans les ventes aux enchères sous le nom de « méthode hollandaise inversée à la baisse ». Cette méthode a l’avantage d’avoir un temps de passation extrêmement bref. Les symptômes psycho comportementaux (SPC) sont ainsi évalués aussi rapidement que la fièvre corporelle par un thermomètre à mercure. Notre proposition est l’introduction du terme de « fièvre relationnelle ». Il permet de faire comprendre qu’un processus est en cours et qu’il est urgent de l’identifier le plus précocement possible. Prendre les constantes inclut désormais la mesure des SPC. La mesure des SPC, désormais facile et rapide, peut être répétée dans le temps avec pour résultat « une courbe de température des SPC », ce que ne peut pas faire, faute de temps, la NPI-ES.
L’échelle EPADE est téléchargeable en accès libre sur le site de psychogériatrie psychoge.fr(9).
La consigne du NPI-ES est de multiplier la fréquence (F cotée de 0 à 4) par la gravité (G cotée de 0 à 3). Cette méthode conduit à accepter que le chiffre 4 associé au chiffre 3 fassent un chiffre total de 12 alors que la logique aurait bien sûr abouti à une somme totale de 7. Pourquoi avoir augmenté le score total en multipliant 4 par 3 ? Pourquoi avoir donné la consigne d’une multiplication là où la consigne des experts aurait dû être le recours à une addition ? Les concepteurs du NPI-ES n’ont jamais apporté de justification à leur choix de leur multiplication F x G. La conséquence de ce choix est restée dans l’invisible depuis la naissance du NPI-ES en 1994. À notre connaissance, aucun auteur, aucune société savante ni aucune autorité de régulation n’a relevé le fait qu’une erreur humaine d’un point sur le chiffre de la gravité peut être multipliée par 4 si le chiffre de la fréquence a été coté à 4. L’arithmétique implacable de la multiplication a été acceptée sans que personne n’ose suggérer de corriger le NPI-ES et conseiller aux auteurs un axe de progression consistant à remplacer la consigne paralogique F x G par la consigne logique F + G. Dans le premier cas le score total est abusivement de 120 au lieu de 70 avec la formule appropriée. Cette erreur dans la conception de l’outil va être démultipliée au moment de l’utilisation.
L’erreur est inhérente à notre fonctionnement au quotidien. Elle participe à notre humanité. L’essentiel est de l’identifier, la corriger et ne pas la répéter. Avec le NPI-ES, il est facile de faire une erreur d’un point car l’évaluation des scores repose sur le choix de qualificatifs subjectifs (léger, moyen, fort, souvent…). Cette hésitation lors de la cotation du NPI-ES est de même nature que l’approximation du navigateur qui évalue la force du vent « au doigt mouillé ». Avec le NPI-ES, une erreur d’un point est toujours multipliée. Cette erreur peut aller jusqu’à être multipliée par quatre lorsque la fréquence est cotée à quatre. Avec l’échelle EPADE, une erreur d’un point reste une erreur d’un point. L’échelle EPADE ne multiplie pas les erreurs, c’est même tout le contraire. L’instrument a été pensé et conçu pour réduire les erreurs et réduire le temps passé à commettre des erreurs. Pourquoi perdre du temps à continuer de mesurer la fréquence alors que les auteurs de la NPI-ES, eux-mêmes, ont promu un questionnaire de l’inventaire neuropsychiatrique (NPI-Q) qui ne mesure que la sévérité avec l’argument que la fréquence est corrélée à la sévérité(5). Outre l’abandon de la cotation de la fréquence, l’une des innovations apportées par l’échelle EPADE est de remplacer les qualificatifs subjectifs du NPI-ES. Dans l’échelle EPADE, chaque mot correspond à un score : un hurlement s’inscrit à 4 et un cri à 3, un coup de poing s’inscrit à 4 et un crachat à 3, un délire avec passage à l’acte s’inscrit à 4, et sans passage à l’acte à 3, une fugue s’inscrit à 4 alors que la déambulation avec intrusions dans les chambres est à 3. L’échelle EPADE est ainsi un instrument de transcodage immédiat de la qualité de l’observation des soignants en une quantité prête à rentrer dans un tableur Excel ou le dossier informatisé du patient sur la plateforme d’organisation des soins. Le résultat est la production immédiate de résultats chiffrés dans des documents qui sont autant de pièces pouvant être remises aux visiteurs en charge d’effectuer le contrôle de la qualité du travail effectué par les équipes.
Nos études de validation ont comparé les qualités psychométriques de l’échelle EPADE avec celles du NPI-ES. Elles ont été effectuées dans trente centres et ont été publiées en 2020(10). Ces études montrent que les caractéristiques statistiques de l’échelle EPADE ont des valeurs supérieures à celles du NPI-ES(10). Publié en accès libre, cet article, à mieux connaître et à citer(11), emporte vite la conviction de l’urgence à abandonner le NPI-ES. Une option confirmée par une autre étude ayant révélé que l’erreur de mesure du NPI-ES est considérable, estimée à 22 points sur un score total de 120 points(12). Ces données apportent toute légitimité à l’EPADE comme nouveau « Gold standard ».
L’incitation au changement est le fait de nos sociétés savantes et de nos autorités de tutelles. L’échelle d’évaluation EPADE a obtenu en 2018 le prix spécial du jury de la SF3PA. En 2019, elle a reçu le prix coup de cœur de la Société française de télémédecine. L’infirmière de nuit d’un établissement peut ainsi télé transmettre son évaluation des SPC à l’urgentiste du centre hospitalier régional ou universitaire. L’échelle d’évaluation EPADE a ainsi valeur de guide innovant qui facilite la communication entre professionnels de santé. Il trouve sa place à côté d’un autre guide d’évaluation, La feuille SAED : Situation, Antécédents, Évaluation et Demande(13), téléchargeable sur le site de la Haute Autorité de santé (HAS). L’année 2022 a été celle de la nouvelle édition du guide Pathos. Dans ce guide, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) demande « impérativement » de décrire et documenter les SPC à l’aide d’une grille, Cohen-Mansfield Agitation Inventory (CMAI), NPI ou EPADE(14). L’année 2024 a été marquée par le remplacement des recommandations de la HAS qui dataient de 2009. Les nouvelles recommandations nationales(15), sont issues de deux années de travail d’experts de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), de la SF3PA et de la Fédération des centres mémoire (FCM). Lors de leur présentation préliminaire au congrès de juin 2024 à Montpellier, ces experts ont pris en compte notre souhait de remplacer les mots « troubles du comportement » par « symptômes psychocomportementaux(16) ». Une des autres nouveautés se trouve dans le chapitre 4 dédié aux échelles d’évaluation des SPC. Maria Soto a séparé les « échelles à spectre étroit » (agitation, dépression, psychose…) des « échelles de large spectre » avec l’indication qu’il n’existe aujourd’hui que deux échelles permettant l’évaluation globale pour des SPC : le NPI-ES et l’échelle EPADE.
Le spectre du NPI-ES comporte dix couleurs, dix domaines allant du délire au comportement moteur aberrant en passant par l’apathie. Les soignants peuvent ensuite utiliser ces dix scores qui deviennent autant de cibles méritant chacune une discussion dont la durée sera aussi longue que le nombre de domaines passés en revue. L’échelle EPADE évalue les mêmes symptômes que le NPI-ES, mais avec l’avantage d’aboutir à un spectre ne comportant que quatre syndromes, quatre couleurs livrées à la discussion. Le postulat innovant(14) de cet outil est de considérer l’être humain en situation de crise comme équipé à tout âge de quatre grandes soupapes naturelles, universelles et transculturelles : les violences, les refus, les paroles et les actes. Après ce début et cet ancrage sur les symptômes, l’essentiel est alors au savoir-être : faire un pas de côté pour porter son regard et son empathie sur la personne cachée derrière les symptômes. Le temps est à l’exploration du contexte et de l’histoire de vie, autant de guides pour la personnalisation des soins.
Les nouvelles recommandations de 2024 (voir plus haut) indiquent que le verso de l’EPADE, dans sa fonction de tiers, « est le point de départ pour réfléchir en collégialité pour diminuer la fréquence du recours à une sédation ou à une contention. Elle facilite la recherche en urgence d’une cause réversible ». Pour l’infirmière coordonnatrice, l’échelle EPADE apporte en une minute un score total qui légitime la parole des soignants. La reconnaissance de la réalité des faits permet le retour à une ambiance soignante pacifiée. Cela permet de tourner la page de la cotation. Le temps est alors celui de la découverte de la page située au verso de l’échelle. Le temps gagné lors la cotation autorise celui d’un mini-staff permettant de réfléchir ensemble avant d’agir. Lors de leur passage dans l’établissement, le médecin ou l’équipe mobile, sollicités pour une personne avec des SPC, ont à leur disposition des transmissions comportant les quatre scores de l’échelle EPADE qui authentifient l’ampleur des SPC. C’est ainsi que l’échelle EPADE peut contribuer à aider les professionnels extérieurs à ne pas se laisser tromper par le calme apparent observé le jour de la visite.
Il est ici question de démontrer l’efficacité d’une nouvelle méthode thérapeutique, qu’il s’agisse d’un médicament psychotrope ou d’une médiation thérapeutique. Le NPI-ES est un instrument de mesure imprécis avec une consistance interne très faible(10). Son erreur de mesure est considérable, car elle multiplie les erreurs (voir plus haut). À l’opposé, une bonne consistance interne(10) fait de l’échelle EPADE un instrument de mesure précis. Une équipe qui veut montrer une différence d’efficacité thérapeutique entre une méthode A et une méthode B ne réussira pas avec un instrument de mesure imprécis qui va noyer la différence dans l’erreur de mesure. À l’opposé, elle pourra identifier cette différence avec l’échelle EPADE. Chacun pourra se poser la question : pourquoi avoir conçu en 1994 un instrument de mesure qui noie les différences d’efficacité entre les anciens et les nouveaux traitements ? Ainsi, à côté de la « Task Force psychotrope » pilotée par l’Agence Nationale de Sécurité du médicament(17), nombreux ici et là sont les groupes de professionnels désormais déterminés à démontrer, médiation par médiation, l’efficacité des activités thérapeutiques proposées à nos patients âgés.
Pour les directeurs d’établissement, l’échelle EPADE est un outil de prévention des risques psychosociaux. Pour les financeurs l’échelle EPADE explore un angle mort en identifiant les coûts cachés de l’aide relationnelle invisible(18) d’autant plus chronophage que les SPC sont nombreux et sévères.
Meilleur outil d’évaluation des SPC, l’échelle EPADE alias PGI-DSS, rapide, fiable, validée et recommandée, se pose désormais comme un choix rationnel dans le mouvement de recherche de la qualité des essais cliniques et des soins en gériatrie.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Appendix 1: EPADE grid (from Montfort et al.(9)).


1 Centre hospitalier Sainte-Anne, AP-HP, 75014 Paris, France.
2 Hôpital Corentin-Celton, AP-HP, 92130 Issy les Moulineaux, Paris, France.
3 Centre Hospitalier du Mans, 72037 Le Mans, France.
Auteur correspondant : Docteur Jean-Claude Monfort, psychiatre, PHU honoraire, Centre hospitalier Sainte-Anne, AP-HP, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
Courriel : jeanclaudemonfort@mac.com
1. Jeandel C. Les grandes étapes de développement de la gériatrie française et de ses instances. Rev Geriatr 2025 ; 50 : 133-7.
2. Friocourt P. Savoir regarder en arrière pour aller de l’avant [Éditorial]. Rev Geriatr 2025 ; 50 : 131-2.
3. Lepetit A. Conclusion et présentation du 7e Congrès de la SF3PA. Lyon, 4-5 juin 2025. sf3pa.com
4. Porter EH. An introduction to therapeutic counseling. Boston : Houghton Mifflin Company; First Edition; 1950.
5. Kaufer DI, Cummings JL, Ketchel P, Smith V, MacMillan A, Shelley T, et al. Validation of the NPI-Q, a brief clinical form of the Neuropsychiatric Inventory. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2000 ; 12 : 233-9.
6. Noblet-Dick M, Balandier C, Demoures G, Drunat O, Strubel D, Voisin T. État des lieux des unités cognitivo-comportementales (UCC) : résultats d’une enquête nationale. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013 ; 11 : 151-6.
7. Monfort JC, Lezy AM, Papin A, Tezenas du Montcel S. L’échelle d’évaluation EPADE : de sa conception en 2003 à sa place dans les nouvelles recommandations nationales de 2024 [Éditorial]. Rev Neurol Psychiatr Geriatr 2025 ; 25 : 48-52.
8. Monfort JC. Hôpital Sainte-Anne : Un dispositif de psychogériatrie à vocation intersectorielle. Pluriels 2005 ; 50 : 11-3.
9. Monfort JC, Lezy MA, Papin A, Tezenas S. Échelle d’évaluation, chez les personnes âgées, des symptômes et des syndromes déconcertants (EPADE). Mise à jour 24/06/2025. Psychoge.fr. https://www.psychoge.fr/_files/ugd/3d0eb6_32014159bf7f4fdb94ee816ad0f77a35.pdf
10. Monfort JC, Lezy AM, Papin A, Tezenas du Montcel S. Psychogeriatric Inventory of Disconcerting Symptoms and Syndromes (PGI-DSS): Validity and reliability of a new brief scale compared to the Neuropsychiatric Inventory for Nursing Homes (NPI-NH). Int Psychogeriatr 2020 ; 39 : 1085-95.
11. Hamilton DP. Research papers: who’s uncited now? Science 1991 ; 251 : 25.
12. Iverson GL, Hopp GA, DeWolfe K, Solomons K. Measuring change in psychiatric symptoms using the Neuropsychiatric Inventory: Nursing Home version. Int J Geriatr Psychiatry 2002 ; 17 : 438-43.
13. Haute Autorité de santé (HAS). SAED : Un guide pour faciliter la communication entre professionnels de santé (support, questionnaire et vidéo téléchargeables sur le site de la HAS). 2014.
14. PATHOS, CNP de Gériatrie, Eon Y, Gaillandre Cleach C, Ducoudray JM, Leroux R, et al. Le modèle « PATHOS » : Guide d’utilisation 2022. CNSA, 2022.
15. Soto M, Roche J. Nouvelles recommandations pour la prise en soins des symptômes psychologiques et comportementaux (SPC) dans les maladies neurocognitives : FCM, SFGG, SF3PA. 2024. https://sfgg.org/media/2024/09/SFGG-def-2024.pdf
16. Monfort JC (dir.). Le syndrome de Diogène et les recluses du moyen âge à Montpellier. Communication au Congrès de la SF3PA. Montpellier, 20-21 sept. 2024.
17. Deleplace E. Yannick Neuder annonce un plan de relance de la psychiatrie avec les moyens du bord. Une task force psychotrope. Hospimedia. 2025 Jun 11.
18. Colliere MF. Marie-Francoise Colliere, nurse and ethnohistorian: a conversation about nursing and the invisibility of care. Interview by Jocalyn Lawler. Nurs Inq 1998 ; 5 : 140-5.