Je me souviens de mon arrivée pour la première fois à l’aéroport Maya-Maya de Brazzaville. Je m’interrogeais sur la légitimité de ma mission, celle de mettre en place à la faculté de médecine et de santé publique de Brazzaville le premier enseignement de gériatrie, avec mes collègues congolais, le Dr Firmin Bikouta et le Pr Richard Bileckot et mon ami et collègue amiénois, le Pr Jean-Marie Sérot. N’était-il pas absurde d’enseigner la Gériatrie dans un pays qui, 15 ans plus tôt, avait connu une guerre civile meurtrière avec près de 400 000 morts, un habitant sur dix, dans un pays dont l’économie et le système de santé s’étaient effondrés, où le taux de mortalité infantile était 20 fois plus élevé qu’en France et le taux de mortalité maternelle près de 100 fois plus élevé, dans un pays où les grands problèmes de santé étaient le paludisme, le SIDA, la tuberculose, mais aussi la malnutrition et où l’accès aux soins n’étaient nullement garanti à la population, dans un pays enfin où le pourcentage des plus de 65 ans était inférieur à 3 %. Pourtant, mes collègues congolais m’ont convaincu que la parole de la gériatrie avait un sens au Congo Brazzaville, comme m’ont convaincu les étudiants et ceux qui, au Congo Brazzaville, se préoccupent du sort des personnes âgées.
Le vieillissement de la population a longtemps été considéré comme une problématique propre aux pays les plus riches. Désormais, il concerne la planète entière. Les pays émergents dont les pays africains vieillissent aussi et ils vieillissent bien plus rapidement que ne l’a fait la France, parce que le taux de natalité a baissé (variablement d’un pays à l’autre et moins que dans les autres continents) et que l’espérance de vie a augmenté, dépassant 60 ans dans la majorité des pays. La part relative des personnes de 60 ans et plus, devrait passer de 5,5 % en 2015 à 8,9 % en 2050, ce qui veut dire un triplement du nombre des 60 ans et plus en 35 ans, Quant aux très âgés, les 80 ans et plus, leur nombre devrait presque quadrupler, passant de 5,3 millions d’individus en 2015 à 20,4 millions en 2050.
L’une des conséquences du vieillissement de la population africaine est l’augmentation des maladies chroniques et de leurs conséquences en termes d’incapacité et de dépendance. Dès aujourd’hui les maladies cardiovasculaires, le cancer, les affections respiratoires chroniques et le diabète font partie des principales causes de morbidité et de mortalité en Afrique, ce qui ajoute une charge supplémentaire à des systèmes de santé déjà insuffisants.
Dans les civilisations africaines traditionnelles, les personnes âgées, ont de tout temps occupé une place de choix. Cependant des problèmes nouveaux comme l’épidémie de sida ou l’urbanisation rapide, ont affaibli ces solidarités familiales. Elles ne suffiront pas à faire face aux besoins des personnes âgées, si elles ne sont pas soutenues et accompagnées par des politiques sociales fortes.
La question du vieillissement préoccupe à juste titre les organisations internationales. Dès 2002, le plan d’action international de Madrid sur le vieillissement et le Cadre d’orientation et plan d’action de l’Union africaine sur le vieillissement donnaient aux États Membres des orientations pour l’élaboration de leurs politiques. En 2005 et 2012, l’Assemblée mondiale de la Santé enjoignaient les pays à prendre des mesures pour améliorer les services de santé et les soins aux personnes âgées. Malheureusement, il ressort d’une étude récente portant sur plus de 130 pays qu’au cours des 20 dernières années la politique de santé accorde toujours peu de place à la question du vieillissement et les systèmes de santé restent mal adaptés pour répondre aux besoins des personnes âgées : insuffisance des infrastructures, insuffisance de formation des professionnels.
Cependant, dans beaucoup de pays d’Afrique, qu’il s’agisse de l’Afrique du Nord ou de l’Afrique sub-saharienne, on voit émerger la Gériatrie, comme une discipline nouvelle indispensable pour améliorer la prise en soin des ainés. Elle est dans chacun de ces pays portée par des pionniers qui sont trop nombreux pour qu’on les cite tous mais auxquels je tire mon chapeau, car ils rendent un grand service à leur pays. Ici ou là se créent des services de gériatrie, se met en place un enseignement de gériatrie dans les facultés de médecine, se constituent des Sociétés de Gériatrie et Gérontologie… Des coopérations internationales entre les universités européennes et d’Amérique du Nord facilitent cette émergence.
La gériatrie en Afrique est un sujet d’actualité et d’avenir. Elle devrait susciter un intérêt croissant des autorités de santé dans tous les pays africains et susciter des vocations de plus en plus nombreuses parmi les professionnels de santé mais aussi les chercheurs.
La Revue de Gériatrie est le témoin du développement de la gériatrie africaine. Elle reçoit et publie de plus en plus d’articles proposés par les équipes africaines et espère en publier plus encore dans les années à venir. Elle est heureuse de pouvoir accompagner le développement de la gériatrie au profit des populations africaines qui, c’est heureux, vieillissent elles aussi.
Liens d’intérêts: l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article
François PUISIEUX
Auteur : : Professeur François Puisieux, Département de Gérontologie, CHU de Lille, 59037 Lille Cedex, France ; Rédacteur en chef de la Revue de Gériatrie. Courriel : francois.puisieux@chru-lille.fr