Cessons de maltraiter nos vieux !
Élise RICHARD
Élise Richard est journaliste. Son ouvrage a nécessité trois ans de travail intensif, et il n’est pas que le résultat d’interviews ou d’enquêtes sur documents. Il donne la parole à de nombreux acteurs de terrain, professionnels ou associatifs. Une immersion professionnelle en EHPAD a été réalisée par une non-professionnelle qui s’est retrouvée dans le soin à la personne âgée après une journée de « formation – encadrement ! ». Édifiant. La lecture du livre laisse pantois, non pas parce qu’il est mal rédigé ou mal documenté, ce reproche est injustifié, mais parce que rien n’a changé depuis plusieurs années ou plutôt que la situation des personnes âgées, des intervenants de terrain domicile comme en EHPAD s’est considérablement dégradée. Le vieillissement démographique a conduit à une majoration considérable de la dépendance et des besoins de soins, mais les moyens dévolus n’ont pas suivi, bien au contraire. L’auteure évoque la question de la pandémie qui n’a pas arrangé les difficultés de terrain, mais elle fait le constat que celle-ci n’a fait que révéler le symptôme et la chronicité de ce qui est rencontré par les acteurs du soin. Le livre n’est pas polémique, il expose de façon pondérée et objective ce qui est rencontré par les familles, vécu par les personnes âgées vulnérables, exercé par les soignants au quotidien. L’auteure cite de multiples aberrations, entre autres, les faibles quotas de personnels qualifiés dévolus aux soins, les niveaux de rémunération des personnels, leur insuffisance numérique et en qualité, des aides-soignants, parfois faisant fonction non diplômée, étant par exemple contraints de réaliser des gestes infirmiers comme la distribution des médicaments. Motus et bouche cousue, le silence est de vigueur, les garde-fous représentés par les familles tenues à l’écart bien souvent. Le tape-à-l’oeil, la langue de bois sont la règle venant le plus souvent d’une hiérarchie bien éloignée des activités de soins. Quelle place accorder aux soignants pour les échanges, la prise en compte des besoins des aînés ? Aucune, non faute de bonne volonté des soignants, mais faute de temps. Le taylorisme minuté est appliqué à la lettre et sous la contrainte. Derrière tout cela, l’argent, l’argent qui manque pour les soins à domicile ou qui s’écoule parfois, légalement, dans diverses poches d’investisseurs. De façon très intéressante, l’ouvrage décline cette anomalie, pointe les écarts entre ce qui est payé par les personnes âgées ou leur famille, la pauvreté des prestations (les repas en particulier) et les bénéfices dégagés par certaines structures. L’ouvrage se termine par des exemples d’innovations réussies en France, par des propositions comme ouverture d’EHPAD sur l’extérieur (par exemple buurtzorg), par des espoirs (projet de loi « Générations solidaires »). Il pose sur le fond deux questions : faut-il déprofessionnaliser l’approche du vieillissement et faut-il continuer à construire des EHPAD ? Ce livre est remarquable. Pour ceux qui travaillent en gériatrie et en gérontologie, attendez-vous à une amertume : malheureusement ce qui est rapporté par l’auteure est exact et depuis trop longtemps. Le mythe de Sisyphe, ici appliqué à la gériatrie, rappelle, sur le plan sociétal, qu’il fait partie du « cycle de l’absurde » de Camus.
Éditions du Rocher
ISBN : 978-2-268105734
248 pages
18,90 €
Vieillir n’est pas un crime. Pour en finir avec l’âgisme
Véronique LEFEBVRE DES NOËTTES
Être une personne très âgée, polypathologique, isolée, dépendante de tiers pour les actes de la vie quotidienne, coûteuse, soi-disant, pour une société à la mémoire fléchissante, oublieuse des richesses apportées par cette personne lorsqu’elle était jeune et en bonne santé, c’est se confronter à des obstacles de plus en plus difficiles à franchir. Le regard négatif des autres, les réflexions sur l’inutilité de maintenir la vie lorsqu’elle n’aurait, selon certains dans l’âge mûr, plus de sens, en bref l’âgisme, finissent par décourager les plus vulnérables puis passivement, avec le temps, par les tuer. La COVID n’a rien arrangé. Impasse a été faite sur les risques psychologiques et psychiatriques posés par l’éloignement des proches, le confinement en chambre, la disparition de la vie sociale. Refus de s’alimenter, de sortir du lit, syndrome de glissement… De nombreuses personnes se sont laissées mourir. Le livre de Véronique Lefebvre des Noëttes est bouleversant. Il ouvre les coeurs, trop souvent fermés sur les misères qui ne sont pas dans notre champ direct de vision, qui ne sont pas médiatisées. Bien sûr, le livre est centré sur la personne âgée, mais comment ne pas étendre les réflexions de l’auteure à d’autres catégories sociales, plus jeunes, mais tout aussi vulnérables. Valider ce que la personne est encore capable de faire, l’aider à le réaliser, la sortir de l’impuissance acquise et apprise, l’auteure, philosophe autant que psychiatre de la personne âgée, rappelle que le Doyen Ricoeur distinguait les actes et les capacités et que la dignité réside dans celles-ci, car un sujet capable est toujours apte à assumer son estime de soi. Donner du temps à l’écoute des plus fragiles, c’est leur permettre d’élaborer leur souffrance et, en la partageant, de l’émousser. Outre les réflexions philosophiques et soignantes, bienvenues dans cette période ingrate, l’auteure ajoute un contre point sur des miroirs aux alouettes que n’aurait pas désavoués Alexis Carel, le transhumanisme et l’intelligence artificielle. Demain l’intelligence artificielle éradiquera-t-elle la maladie d’Alzheimer, vivrons-nous éternellement et en bonne santé (tous y auront droit, vous êtes sûr ?) ? L’auteure ne critique pas pour autant les avancées des géronto-technologies, au contraire, mais elle apporte ici ses réflexions éthiques et pratiques. « Faire pétiller sa créativité ! », une invitation pour les personnes âgées, mais aussi pour tous ceux qui sont engagés dans leurs soins et pour tous les adultes encore jeunes qui, c’est ce que nous leur souhaitons, deviendront vieux un jour. Vieillir, c’est Être. Ce livre fait réfléchir, alors bonne lecture.
Éditions du Rocher
ISBN : 978-2-268105222
288 pages
15 €