La maladie à COVID-19 a contraint les hôpitaux à renforcer la sécurité sanitaire des patients hospitalisés, de leurs proches et des personnels hospitaliers. Afin d’éviter une propagation du virus, les visites des personnes hospitalisées en secteur COVID-19 de Médecine gériatrique du CHU de Limoges ont été restreintes. La maladie, l’entrée à l’hôpital, l’isolement social, ne sont pas sans conséquences au niveau médico-social et psychologique. De là, est née la volonté d’utiliser des modes de communication innovants tels que la visiophonie pour recréer le lien social et affectif entre les patients et leurs proches. L’objectif de cet article est d’évoquer la mise en place d’une plateforme digitale de visites virtuelles dans un secteur de court séjour gériatrique. Entre le 01/11/2020 et le 26/02/2021, 11,11 % des patients hospitalisés ont bénéficié de 44 visites virtuelles d’une durée moyenne de 33,93 minutes (écart-type : 14,33). Cette plateforme digitale, associée à l’écoute et l’accompagnement psycho- logique des patients et/ou de leur famille, a été appréhendée comme un médiateur dans la prise en charge médicale initiale du patient, de par ses bénéfices aux niveaux psycholinguistique, psychoaffectif et motivationnel, et de par la coordination des soins et des acteurs de santé. Au niveau technologique, bien qu’acceptée, la faisabilité de cette technologie a nécessité un accompagnement, voire un apprentissage, et a pu être contraignante d’un point de vue institutionnel.
Court séjour gériatrique, COVID-19, Dyade patient-famille, Visites virtuelles
The COVID-19 disease has forced hospitals to strengthen the health security of hospital inpatients, their families and hospital staff. To prevent the spread of the virus, visits by people hospitalized in the COVID-19 geriatric medicine ward of the Limoges University Hospital have been restricted. Illnesses, admission to hospital, social isolation, are not without consequences at the medico- social and psychological level. From there was born the desire to use innovative modes of communication such as videophone to recreate the social and emotional between patients and their families. The aim of this paper is to discuss the establishment of a digital platform for virtual tours in an acute geriatric ward. Between the 11/01/2020 and the 02/26/2021, 11.11% of patients hospitalized received 44 virtual visits with an average duration of 33.93 minutes (standard deviation: 14.33). This digital platform associated with listening and psychological support to patients and/or their families was seen as a mediator in the initial medical care of the patient through its psycholinguistic, psychoaffective and motivational benefits, and through the coordination of care and health actors. At the technological level, although accepted, the feasibility of this technology required support or even training, and may have been binding from an institutional point of view.
Acute geriatric ward, COVID-19, Patient-family dyad, Virtual visits
le Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2)(1), et le 31 décembre 2019 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarera l’état de pandémie. La contagiosité de ce nouvel agent pathogène a poussé les hôpitaux à mettre en place un système de cohorting en créant des secteurs dédiés à la COVID-19 (COronaVIrus Disease 2019).
Dès le 15 septembre 2020, face à la recrudescence des personnes âgées infectées par le SARS-CoV-2, les unités de court séjour gériatrique du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges [Médecine interne gériatrique (MIG) et Post-urgence gériatrique (PUG)] ont accueilli des patients atteints de cette pathologie(2). En lien avec des restrictions sanitaires et la nécessité d’éviter la propagation du virus, les visites des familles auprès de leur proche hospitalisé ont été restreintes au sein de ces unités. Or, les visites des patients hospitalisés sont sources de réconfort lorsqu’elles sont possibles. Prendre en soins une personne hospitalisée nécessite de répondre à ses besoins médicaux, psychologiques et sociaux. Les liens sociaux contribuent au confort et au bien-être de la personne malade. Cet isolement est contre nature lorsque la personne est en situation de vulnérabilité. Aussi, ces restrictions physiques et sociales ont pu générer un sentiment d’isolement et d’ennui, un sentiment d’abandon, accentuer les conséquences psychologiques et neuropsychiatriques (confusions et delirium, dépression réactionnelle, anxiété, agressivité) secondaires à l’infection(3) et renforcées par le fait même d’être hospitalisé(4). Pour pallier cette restriction, l’utilisation de Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a permis d’aménager des visites virtuelles. Les objectifs thérapeutiques étaient multiples tant pour le patient (rompre son isolement, l’apaiser et réduire sa détresse psychologique, soulager ou prévenir des troubles du comportement, main- tenir la communication) que pour son aidant (atténuer son angoisse et le sentiment de culpabilité).
Cet article émane du souhait de proposer un retour d’expérience et de partager une réflexion sur la mise en place de visites virtuelles dans le secteur COVID-19 de court séjour gériatrique du CHU de Limoges, sur une période allant du 01/11/2020 au 26/02/2021.
Le dispositif de visites virtuelles (ou visiophonies) utilisé à l’hôpital s’était appuyé sur l’utilisation d’une seule tablette numérique intégrant une seule application de communication (Jitsi Meet). Cette application était adaptable pour les proches sur leur ordinateur, leur smartphone ou leur tablette numérique. Un support permettait de poser la tablette numérique sur une table dans la chambre des patients. Ces visiophonies gratuites étaient proposées par les gériatres, les ergothérapeutes ou le personnel soignant, en complément des appels téléphoniques ou comme seul moyen de communication. Après sollicitation de l’équipe, une psycho- logue prenait contact avec les proches afin d’en étudier la faisabilité. Un rendez-vous (RDV) était ensuite organisé. La date et l’heure étaient communiquées à l’équipe afin d’organiser les soins. Au moment des RDV, la psychologue établissait la connexion sur la tablette du service et déposait celle-ci auprès des patients en chambre. La présence de la psychologue durant les appels était proposée aux patients et aux aidants.
Sur 180 patients âgés qui ont été admis, il a été proposé une visite virtuelle à 31 patients (17,22 %). Toutefois, 20 patients (11,11 %), dont le nombre moyen de jours d’hospitalisation était de 12,05 (σ = 5,12), ont pu réaliser au moins une visiophonie durant ces 4 mois (Tableau 1). Les 11 autres patients n’ont pas pu en bénéficier en rai- son de problèmes d’accès à internet et de connaissances insuffisantes en informatique chez les proches, d’absence de volonté d’utiliser ce mode de communication, de difficultés pour un proche vivant en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) dont le dis- positif était incompatible avec celui utilisé par le CHU de Limoges. L’âge de ces 20 patients allait de 78 ans à 94 ans (µ = 86,8 ans, σ= 5,98), 30 % étaient des hommes et 70 % des femmes. Au total, 44 visites virtuelles ont été réalisées, d’une durée variable allant de 15 minutes à 90 minutes (µ = 33,93, σ = 14,33) et à une fréquence de 1 à 5 appels (µ = 2,2, σ = 1,15). Après la mise en place réalisée par la psychologue, sa présence a été souhaitée dans 86,26 % des cas par les patients ou les proches.
Notre expérience nous a permis de dégager les bénéfices et les inconvénients de ce mode de communication au sein d’une unité spécifique à la COVID-19 (Tableau 2).
D’une part, les visiophonies peuvent avoir des atouts aux niveaux psycholinguistique et affectif tant chez le patient que chez ses proches. Le téléphone est limité au canal ver- bal tandis que l’interface numérique qu’offre la visiophonie y associe le langage non verbal (regard, expression faciale…). Elle améliore significativement la réception du message au travers de la perception de ces indices non verbaux(5). Le fait de voir un interlocuteur même par écran interposé favorise donc les échanges et la communication mais aussi l’entrée en relation et l’ouverture de la conversation via le regard(6). Les bienfaits des visiophonies vont au-delà de la communication verbale ou non verbale. La survenue de la maladie, l’hospitalisation et l’absence de visites en chambre ont eu pour conséquence une rupture difficile à vivre. Les malades tout comme les familles peuvent être exposés à l’angoisse de la séparation, l’angoisse de voir évoluer négativement leur état clinique, l’angoisse de la mort et la possibilité du deuil. Cette rupture fait émerger des difficultés pour soutenir psychologiquement et physiquement leurs proches malades. Mais le fait de les voir et de les entendre peut les rassurer : c’est une preuve de vie. D’appel en appel, certaines familles ont pu se rendre compte de l’évolution de l’état de santé (positive ou négative) de leur proche per- mettant ainsi une meilleure compréhension de son état, voire une acceptation. Par ailleurs, la perception visuelle des expressions faciales et des micro-expressions renseigne sur l’état émotionnel d’autrui, sur ses intentions et son comportement vis-à-vis de l’autre(7). Ces visiophonies per- mettent aux familles de réinvestir ce lien affectif et ce rôle de soutien émotionnel au travers de leur discours rassurant mais aussi de leurs expressions faciales. Enfin, les visites virtuelles peuvent renforcer les capacités de résilience et d’affrontement de l’épreuve vécue des patients. Alors que certains patients manifestaient des éléments dépressifs, des termes comme « ça m’a stimulé », « ça m’a motivé » ont été évoqués par les patients après les appels renvoyant à un renforcement de leurs ressources affectives et motivationnelles. Enfin, le logiciel utilisé lors des visiophonies permet- tait l’accès de plusieurs utilisateurs à la même session avec des appareils différents, facilitant les liens intrafamiliaux, ce qui aurait été plus limité via le téléphone ou en présentiel. La présence de la psychologue durant une majorité des visiophonies était acceptée afin de rassurer les patients. Bien que cela puisse paraître intrusif, le respect de la vie privée et des échanges était évoqué dès le début des appels maintenant un état de confiance et une liberté d’échanges entre les interlocuteurs. La psychologue pouvait devenir un médiateur dans la relation afin par exemple d’interrompre l’appel lorsque la fatigue se faisait ressentir chez les malades tout en apaisant des frustrations de cette interruption auprès des familles, ou de soulager la détresse psychologique de certains malades au moment des appels. À la fin de chaque visiophonie, un espace d’écoute était proposé aux patients et à leurs proches pour évoquer leur vécu, la charge émotionnelle et la perception des visiophonies, pour verbaliser des gênes, des angoisses, ou au contraire verbaliser les bénéfices de ces visiophonies. Pour les familles, un sentiment de culpabilité pouvait apparaître du fait de ne pas pouvoir se rendre à l’hôpital restreignant leur rôle d’aidant, alors qu’être aidant « c’est aussi faire valoir un savoir-faire et un savoir-être auprès de la personne malade, tout en apportant de l’affection, du réconfort et une présence(8). » Cet outil prenait sens aussi pour l’équipe soignante dans l’élaboration du projet de soins. Il était donc primordial d’accorder un temps d’échange avec les soignants sur le vécu et le ressenti des patients et/ou de leur aidant.
D’autre part, l’accompagnement des personnes âgées hospitalisées dans le secteur COVID-19 avait nécessité de prendre en compte plusieurs contraintes organisationnelles, institutionnelles et interindividuelles. Tout d’abord, les conditions d’accès à ces visites virtuelles étaient déterminées par l’état de santé du patient : la présence de confusion, de troubles neurocognitifs modérés à sévères, de troubles neurosensoriels ou encore l’état dégradé du patient en lien avec la pathologie de la COVID-19 limitaient l’utilisation de cet outil.
Dans notre situation, bien qu’un temps psychologue ait été dédié à organiser les visites virtuelles, une ergothérapeute est aussi intervenue à deux reprises. Cela souligne le fait que d’autres acteurs de santé peuvent être impliqués dans cette plateforme digitale d’autant que notre expérience nous a montré que 13,74 % des patients n’ont pas souhaité l’appui de la psychologue.
Afin de respecter l’intégrité physique et médicale, la psycho- logue s’assurait du respect de l’image corporelle du patient.
Le patient était vu généralement au fauteuil afin de favoriser sa dignité. Les visiophonies étaient réalisées les après-midi, pour prioriser les soins infirmiers, les examens médicaux et les visites médicales réalisés les matins. Les visiophonies s’organisaient aussi en fonction des disponibilités des proches et du respect des rythmes et habitudes de vie des patients (comme l’habitude des siestes à une certaine heure, d’émissions télé…). Les week-ends, nous n’avions pas de possibilité de réaliser des visiophonies pour des raisons de ressources humaines.
Au niveau technique, l’utilisation seule de la tablette n’était pas suffisante pour certains patients présentant une désafférentation auditive. Leur téléphone portable, le téléphone fixe de l’hôpital ou encore un support écrit (messages écrits sur un tableau par la fille d’une patiente qu’elle pouvait lire) devaient être utilisés en supplément.
Le virus du SARS-CoV-2 se transmet principalement par projection de gouttelettes respiratoires émises par la per- sonne infectée (toux, respiration, éternuement, parole…), par les aérosols et les contacts via les mains(9). La contamination des surfaces ou des objets est aussi un élément à prendre en compte. Dès lors, les mesures barrières d’hygiène comme l’habillage-déshabillage de l’équipement de protection individuel, le nettoyage minutieux du maté- riel (tablette numérique et support) avant et après chaque visiophonie étaient respectés. Toutefois, cela rendait la tâche chronophage, d’autant plus lorsque la psychologue devait récupérer ultérieurement la tablette.
Une dernière contrainte organisationnelle était liée à la méconnaissance de l’outil numérique par les personnes âgées, la psychologue s’occupait donc d’ouvrir et de fermer l’application, de vérifier qu’il n’y avait aucun problème tech- nique. Un seul problème technique (problème de connexion) a été rencontré nécessitant l’annulation du RDV.
À l’instar d’autres établissements hospitaliers et médico- sociaux français, les visites virtuelles via la visiophonie ont permis aux patients âgés hospitalisés dans notre secteur COVID-19 de court séjour gériatrique de recréer un lien social et affectif avec leurs proches. Bien que limitée dans nos unités, représentant 11,11 % des patients, cette expérience nous montre que l’accueil et l’investissement psycho-affectif de cet espace numérique comme lieu de rencontre substitutif à l’isolement des malades sont encourageants. Ce qui nous renvoie l’idée fondamentale que le soin en médecine gériatrique s’inscrit dans une dynamique plus complexe ; la prise en charge n’est pas seulement médicale, elle est globale intégrant les aspects médico-psycho-socio-environnementaux(10). Au niveau sociétal, l’expansion de ce moyen de communication sera déterminante pour les hôpitaux qui devront s’adapter afin de répondre aux besoins d’une génération future de patients plus concernés et familiarisés avec ces NTIC. ■
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
- Zhu N, Zhang D, Wang W, Li X, Yang B, Song J, et al. A Novel Co- ronavirus from Patients with Pneumonia in N Engl J Med 2019 ; 382 : 727-33.
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- Manca R, De Marco M, Venneri The Impact of COVID-19 Infection and Enforced Prolonged Social Isolation on Neuropsychiatric Symptoms in Older Adults With and Without Dementia: A Review, Front. Psychiatry 2020 ; 11 : 585540.
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